• Le Lolita et le manga sont un peu comme l'oeuf et la poule : nous n'avons aucune idée de celui qui a enfanté l'autre, ou, plus exactement, l'a profondément transformé. Certes, les origines du premier sont plutôt floues alors que le deuxième, âgé de plusieurs siècles, existe dans la forme que nous connaissons depuis Tezuka. Et puis, les théories à propos de l'origine du Rori sont variées. D'aucuns affirment que le Lolita est né du Visual Kei, d'autres de la culture Kawaii et d'autres encore de la rue, et j'imagine que c'est un peu tout ça à la fois. Mais il y en a également, et beaucoup, et en particulier les néophytes et les esprits chagrins, qui pensent que le Lolita n'est rien d'autre que la copie In Real Life de ce que portent des personnages de bande-dessinée japonaise. Qui n'a jamais entendu sur son passage, ou pire, à la télévision, que nous étions "habillées en manga", "fans de manga", et donc par extension... de simples cosplayers ?

    Le mot "Cosplay" a donc été prononcé, à croire qu'on ne peut parler mode et manga sans aborder ce sujet presque tabou dans le Lolita. En vérité, parmi toutes les discussions sur les racines du mouvement, on retrouve insidieusement cette notion. Que sont des fans qui imitent les costumes de leurs groupes préférés ? Que sont celles qui adoptent les codes vestimentaires de certains mangas, dans les années 80 ? Vous avez dit "cosplayeurs" ? Gagné. Je ne dis pas bien sûr que le Lolita est une forme de Cosplay (vous ne seriez pas en train de lire ce blog si c'était le cas). J'essaie simplement de comprendre cette relation d'amour-haine entre deux mondes.

    Par ailleurs, il faut avouer que les deux mondes en question ont souvent tendance à cohabiter étroitement l'un avec l'autre, en particulier en Occident. J'imagine que l'affaire est plus simple au Japon, encore que je n'ai aucun moyen de le savoir précisément. Ici en revanche et même si la communication est plus aisée qu'il y a vingt ans, nous n'avons qu'une idée partielle de la culture pop japonaise, qui ne nous est arrivée que récemment. Nous avons toutes plus ou moins connu les premières vague de la "mangamania", peut-être en faisions-nous même partie. A travers ces supports (je parle de la culture manga en général, cosplay et anime y sont compris lorsqu'ils en découlent), des bribes d'autres facettes du Japon nous sont parvenues, des choses que ce pays n'exportait pas forcément, voire avait honte. En ce qui me concerne, c'est par le biais du manga, à une époque où je n'avais aucun accès internet, que j'ai découvert les modes Decora, Ganguro et Lolita. Comme la plupart d'entre nous. Alors oui, le deuxième consommateur au monde de manga qu'est la France a une image biaisée de la mode de laquelle nous nous réclamons, mais c'est parce que pour elle le Lolita n'existe principalement qu'à travers ces cases, ces bulles et ces personnages parfois caricaturaux.

    Au final, on ne sait toujours pas si le manga a engendré le Rori ou si le Rori s'est implanté dans le manga. Toujours est-il qu'en Europe et en Amérique plus qu'ailleurs, les Lolita sont arrivées pour la plupart grâce à la BD nippone et se sont aménagées une petite place sur ce territoire, notamment grâce aux conventions. Ces événements, bien qu'officiellement axés sur la culture japonaise dans son ensemble, sont principalement réputés pour attirer une écrasante majorité de fans de mangas, et proposent des activités en ce sens. Les Lolita qui assistent aux conventions y sont donc amalgamées même si elles ne sont intéressées que par les défilés ou les stands de vêtements. Je me souviens d'une amie "otaku" à qui j'avais confié que j'adorerais aller à la Japan Expo pour y acheter des robes et faire signer quelques autographes à des artistes lolitas. Sa réponse, assez véhémente, fut de me reprocher mon manque d'intérêt pour les têtes d'affiche de l'événement. D'accord, mais si les mangas me laissaient désormais indifférente contrairement à d'autres aspects de l'archipel ? Et si la JE ne constituait plus que le seul endroit laissant une place aux Lolitas, mal connues du grand public ? (évidemment, cette anecdote est arrivée bien avant qu'ils suppriment toute présence loli de leurs éditions annuelles)

    Deux choses s'avèrent donc nécessaires dans un tel contexte. La première, n'est pas, comme le pense Victoria de Lolita-Charm [voir plus bas], d' "éduquer" les fans de manga eux-mêmes sur notre style vestimentaire, car ils en connaissent bien souvent plus que nous le pensons, passent par les mêmes préjugés à l'encontre de leur propres passions ou sont eux-mêmes des Lolita. Ce qui est important en revanche est d'opérer un changement dans les consciences des profanes, établir une différence claire entre manga et mode, éviter les clichés véhiculés par des médias mal renseignés. Pour celles qui ne comprenaient pas pourquoi Rouge Dentelle & Rose Ruban ou d'autres à New York ou Berlin organisaient autant de défilés où chaque fille représentait une catégorie, voilà votre réponse. Nous savons, nous, que "shiro" égal "blanc", que nous n'avons rien à voir avec Nabokov et que les Sweet aiment les couleurs pastels. Le public moyen en revanche ne le sait pas, et serait peut-être intéressé par ces informations délivrées de première main. Quant aux conventions eh bien, puisque comme je le disais la Japan Expo ne représente plus les Lolita, alors nous ne pouvions que lancer notre propre projet, hors des circuits "otaku" ! Et c'est de plus en plus le cas non seulement ici mais dans d'autres pays.

    Evidemment, les Lolita garderont toujours plus ou moins un pourcentage de présence dans les conventions classiques, ne serait-ce qu'en tant que visiteurs ou pour informer les gens, car c'est une part indéniable du Japon. Misako Aoki, nommée en 2oo9 "ambassadrice kawaii" par le ministère des affaires étrangères de son pays, sillonne le monde pour faire tout cela. C'est une preuve qu'il y a un intérêt envers le Lolita, donc que nous avons déjà commencé à affirmer notre poids par rapport à la communauté japonaise, laquelle décline fortement. Mais le but reste à terme, sans renier nos origines, sans créer de schisme inutile entre deux pays (France et Japon) ou deux univers (Lolita et culture manga) qui peuvent apporter de bonnes choses l'un à l'autre, de couper une bonne fois pour toute le cordon. Il fut un temps où le Lolita a eu chez nous besoin du manga pour être remarqué mais ce n'est plus le cas depuis bien longtemps. Notre défi est maintenant de renforcer notre communauté autour de valeurs et de références communes s'inspirant des domaines qui l'ont aidée à se constituer (le Visual Kei, le Kawaii, le manga donc, typiques d'un contexte et d'une société), qu'on le veuille ou non, que l'on s'en réclame encore ou pas. Par la suite, nous pourrons créer de nouvelles références qui cette fois seront plus fraîches et porteront la marque d'un Lolita "à l'occidentale".

    François Amoretti parlait il y a presque deux ans de n'être ni Français ni Japonais, "apatride mais Lolita". La même année j'étudiais en Histoire la définition d'une nation selon Fustel de Coulanges :

    " Les hommes sentent dans leur coeur qu'ils sont un même peuple lorsqu'ils ont une communauté d'idées, d'intérêts, d'affections, de souvenirs et d'espérances "

    Une définition qui correspondrait bien à notre cas ma foi.

    POUR ALLER PLUS LOIN

    Tous mes articles à propos de mangas

    Un article de Lolita-Charm sur les liens qui unissent anime et Lolita (des points intéressants malgré une vision quelque peu condescendante des fans d'anime)

    Un article de GodSaveTheLolita sur le même thème


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  • Comme un certain lapin de conte, je cours, je parle, je regarde anxieusement ma montre et cela ne m'empêche pas d'être systématiquement en retard. Chères lectrices, chers lecteurs, je suis désolée ! Cela fait exactement trois mois que je n'ai plus écrit, et le fait d'avoir plus de visites qu'avant - je viens de le voir - depuis justement trois mois me fait d'autant plus plaisir que cela ajoute à ma gêne. >o>'

    Il est une jeune fille néanmoins dont le souci de ponctualité est moindre, et qui préfère emprunter le plus long chemin de la forêt, et le plus joli, pour apporter à sa Mère-grand sa galette et son petit pot de beurre. Ses aventures, contées par Charles Perrault, ont ce mois-ci été augmentées d'une histoire inédite. Pour la première fois, des révélations ont été dévoilées par Audrey Alwett et François Amoretti à propos de Ce Qu'il Advint Dans le Ventre du Loup...

    L'histoire du Petit Chaperon Rouge a maintes et maintes fois été contée. A vrai dire, il s'avère qu'elle a déjà été contée par François Amoretti lui-même en 2oo8. En effet, face aux refus systématiques des maisons d'éditions dont certaines, en lisant le mot "Lolita", l'avaient même accusé de pedophilie (!), celui-ci décida alors de publier avec ses propres sous un conte qui, s'il "était présenté à un éditeur aujourd'hui, [...] se ferait envoyer sur les roses", d'où la version de Perrault et non celle des frères Grimm. Dans un tel contexte, Le Petit Chaperon Rouge n'est donc pas que la simple reprise d'une histoire très connue, c'est aussi un geste de colère à l'encontre de ces grandes maisons d'éditions trop frileuses, trop portées sur les livres en tant que produits plutôt qu'oeuvres à part entière. Plus encore, c'est la première expression d'un livre-oeuvre Lolita en Français (et Japonais).

    Certes, il contenait de petites maladresses de traits et quelques coquilles par-ci par-là. Il manquait aussi d'une petite touche de couleur, le tryptique noir-blanc-rouge étant si important dans ce conte, mais ces erreurs ont bien vite été corrigées grâce à la réédition apportée par la collection Blackberry. Car ce furent les éditions Soleil qui les premières remarquèrent M. Amoretti et lui permirent la publication de deux livres depuis 2oo9. Peut-on alors dire que son "nouvel ouvrage" marque la fin d'un ressentiment, ou au contraire une revanche ? Un simple perfectionnisme artistique (la nouvelle édition, plus soignée, est en format "beau livre") ou une tentative de recyclage ? x)

    En dehors donc de la colorisation et des diverses corrections apportée au Petit Chaperon Rouge, on peut également lire dans la deuxième moitié du livre une petite bande-dessinée, un voyage initiatique dans lequel l'héroïne se voit donnée une chance d'agir pour de vrai et en sortir grandie. J'avoue m'être attendue à une suite édulcorée avec happy ending, mais cette petite histoire contient cependant une dose assez raisonnable de noirceur pour satisfaire mon coeur de louve. <3 On appréciera les différents symboles disséminés tout au long de ce labyrinthesque parcours, les références à Alice, les apparitions du poulpe-fraise. La lutte plus ou moins galante entre une reine de coeur en devenir et un élégant roi de pique, à base de vertigineuses mises en abymes et actes cannibales, voire d'étrange parodie de grossesse (chez un mâle !). Toutes ces choses que le trait précis et un peu désuet (c'est un compliment :-D) de François Amoretti ne laissent pas forcément voir au premier coup d'oeil, s'amusant à brouiller les pistes.

    J'ai l'impression que la version home-made du Petit Chaperon Rouge "Amorettien" est désormais introuvable. Du moins c'est ce qu'il m'a semblé après rapide recherche sur son blog de ventes [voir plus bas]. Il ne vous reste donc plus, chères lectrices, qu'à vous rattraper chez Blackberry. Ou attendre que l'un des 800 à 900 chanceux qui l'ont eu le revendent sur le marché de l'occasion...

    POUR ALLER PLUS LOIN

    Blog de A. Alwett / Blog de F. Amoretti

    Le Petit Chaperon Rouge chez Blackberry

    Produits dérivés du Petit Chaperon Rouge

    Un très bon dossier sur le sujet dans le n°2 de L'Empire des Dentelles

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